Tisser des liens entre les époques et les usages, entre l’architecture et son contexte, entre la mémoire et la création, entre les savoir-faire et les innovations, tel est le travail mené au quotidien au sein de l’Atelier d’Architecture Philippe Prost, que ce soit à l’échelle de la pièce, du bâtiment, de l’îlot, du quartier, de la ville ou encore à celle d’un paysage ou d’un territoire tout entier.
La recherche d’abord, l’enseignement ensuite, et le métier d’architecte enfin ont façonné mon parcours avant de devenir le triptyque fondateur d’une approche partagée et renouvelée de l’architecture au sein de l’atelier, une approche de l’architecture appréhendée comme l’art de transformer le réel.
Une approche dans laquelle mémoire et contexte fondent la création ; d’un côté la mémoire, celle des lieux et des êtres, de l’autre le contexte urbain, architectural mais aussi historique et social. L’architecture est une construction mentale avant de devenir construction matérielle, à la fois savante et sensible.
Dès mon premier projet, avec la citadelle de Belle-ile-en-mer, j’eus la chance, sans m’en rendre compte à l’époque, de pouvoir embrasser toutes les échelles depuis celle de l’édifice jusqu’à celle de la forteresse, de la simple chambrée d’un casernement à celle d’un paysage tout entier. Ainsi aujourd’hui encore à l’emboitement des pratiques répond l’emboitement des échelles de projet et d’intervention.
Au fil des années, j’appris à découvrir cette citadelle, tout à la fois unique et multiple, comme une oeuvre en soi dont le fil conducteur est le temps, une oeuvre aux auteurs multiples et successifs, en l’occurrence des ingénieurs militaires : et plus largement une oeuvre ouverte au sens où l’entendait Umberto Eco, en parlant des arts et des sciences; c’est-à-dire une oeuvre disponible pour être habitée et transformée, interprétée et transfigurée, par les êtres humains comme par la nature. Il s’agit de voir dans le déjà-là, tout à la fois une oeuvre-source et une oeuvre ouverte. Cette notion permet d’aborder le territoire, la ville et l’architecture comme une oeuvre à plusieurs mains, celles des concepteurs, des bâtisseurs, des utilisateurs, une oeuvre toujours réinterprétée, une oeuvre toujours en devenir.
Dans le monde d’aujourd’hui, l’architecture est menacée de démembrement ; Un démembrement tragique résultant d’une spécialisation toujours accrue qui dissocie l’architecture contemporaine de l’architecture ancienne, l’architecture d’intérieure de l’architecture tout court, et au-delà l’architecture de la ville ou encore la conception de la construction. En réaction à la fragmentation en cours, des compétences, des missions, des périmètres, je plaide pour une architecture, une et indivisible. Si j’use de cette métaphore politique et républicaine : c’est que l’architecture est d’utilité publique, qu’elle concerne le cadre de vie de toutes et de tous et qu’à fragmenter, toujours et encore, les interventions l’architecture perd sa cohérence, son âme pour ne devenir qu’un produit de consommation comme les autres.